La maison semblait étrangement vide et bien rangée. On entendait juste la voix du présentateur du journal télévisé. Le jeune homme s'avançait lentement dans le couloir. Tout vêtu de noir, il entra dans le salon à pas feutrés. Personne. Il regarda autour de lui avec méfiance. Ses sens étaient en alerte, à l'affût d'un quelconque bruit suspect. Il continua son chemin pour arriver dans la cuisine. La jeune fille brune était de dos, en train de couper une tomate pour son repas de midi. Le soleil hivernal filtrait sur la table de travail une lumière dorée, agréable.
Le couteau scintilla dans sa main, et de l'autre, l'homme attrapa les cheveux de la brune. L'action se déroula très vite. Elle eut à peine le temps de hoqueter de surprise qu'un long trait rouge seyait à sa gorge délicate en un sourire béat. Le sang coula le long de son cou gracile et le jeune homme allongea délicatement le corps de la femme. Il la regarda, sa vie s'écoulant lentement hors d'elle. Elle suffoquait, la bouche remplie de son sang. Son regard vitreux fixait le plafond comme un poisson fixe le vide lorsqu'il est hors de l'eau.
Le jeune homme fit quelques pas dans la cuisine. La femme resta de longues minutes à gargouiller dans son sang, consciente. Comme s'il était hors de question pour elle de s'assoupir pour embrasser le sommeil éternel. Non, elle clignait encore des paupières et son ventre se levait et s'affaissait toujours, de manière irrégulière. Il devait changer ses plans, l'égorger ne suffisait pas. Il prit un torchon de cuisine pour éviter de laisser des traces derrière lui et le plaça sur son visage pour l'étouffer. Sa bouche était obstruée par le sang mais elle arrivait encore miraculeusement à respirer par le nez. La femme tenta de se débattre en repoussant l'homme de ses bras mais elle était devenue trop faible pour l'empêcher de mettre fin à sa vie. Elle redevint immobile, tressauta deux fois puis ne bougea plus. Elle ne bougera même plus jamais. L'homme se releva, jeta un dernier regard sur la cuisine. Il replaça un couteau sur le plan de travail, un peu maniaque Avant de sortir, il se retourna. Il sentait une présence entre ces murs. Une présence qu'il aurait voulu percer à jour. Elle était invisible mais tout son être lui confirmait qu'elle était bien là. Quelqu'un l'observait.
Lyuba se réveilla en sursaut. Son rêve, ou plutôt son cauchemar avait été étrangement réel. La scène qu'elle venait de vivre à travers ses songes comportait des détails surréalistes. Elle avait été jusqu'à sentir le goût métallique de l'hémoglobine, entendre le corps de la femme tomber sur le sol et le gargouillement de son sang lorsqu'elle tentait de respirer par la bouche. Les mains de Lyuba tremblaient à cette idée, mais ce n'était rien comparé à la peur qui l'avait saisie lorsque l'homme avait commencé à la scruter, elle. Il avait senti sa présence, il l'avait regardée dans les yeux et causé son réveil.
La jeune fille balaya sa chambre d'un bref coup d'oeil alors qu'elle récupérait son souffle; tout semblait à sa place. Il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. Elle prit la clé qu'elle avait laissée sur sa table de nuit et la détailla dans la lumière du jour qui filtrait à travers les rideaux tirés. Un étrange symbole figurait sur celle-ci, rien d'autre. Lyuba hésita à la laisser là ou la prendre avec elle pour aller en cours. Non, elle la laissera là. Elle la reposa à sa place et partit se changer dans la salle de bain.
Au moment de partir, elle se ravisa. Elle la reprit et l'inséra dans la poche avant de son sac. Elle pourra ainsi montrer toutes les preuves à Aubéline et lui parler de Clovis. Et que diable, elle se demandait encore pourquoi une clé. Le verre, d'accord... Mais une clé ?
*****
En arrivant à l'université, Lyuba pensait retrouver Clovis. Lui demander quelle était la raison pour laquelle il lui avait donné cette fameuse clé. Mais en entrant dans l'auditoire, elle ne le vit nulle part. Au fond d'elle, elle avait le sentiment que cela n'augurait rien de bon. Il ne lui restait plus qu'à espérer retrouver son amie pour tout lui raconter. Elle se creusait les méninges et tournait les questions dans tous les sens, sans jamais trouver de réponses satisfaisantes. Cette aura maléfique, qu'elle sentait autour d'elle, la travaillait tellement que Lyuba était à l'affût de la moindre étrangeté, chaque bruit intense la faisait sursauter. Elle bondit de sa chaise lorsque la sonnerie retentit à la fin du cours, annonçant le repas de midi. Néanmoins, elle faisait de son mieux pour gérer son stress en inspirant profondément. Elle prit son temps pour ranger ses affaires et sortir de l'amphithéâtre.
« Et bien alors, t'es tombée du lit ? » rit Aubéline en voyant son amie arriver. Lyuba fronça les sourcils et son amie lui fit de la place à ses côtés sur le banc de la cafetéria.
« Tu as oublié de te maquiller ma belle. » continua-t-elle en faisant un rapide clin d'oeil.
La rouquine resta un moment muette avant de lâcher sans plus de conviction un :
« Ha ! Merde... »
Même si finalement, elle s'en souciait fort peu. Le maquillage était la dernière de ses préoccupations. Son cauchemar était encore trop récent pour qu'elle en fasse abstraction. Ce regard de glace la hantait, il l'avait percé à jour et cela ne faisait que croître les craintes qui l'assaillaient déjà. Elle savait qu'elle n'avait pas été sur place, mais jamais personne dans un rêve ne l'avait reperée de la sorte. C'était comme si cet homme avait lu en elle. Elle s'est sentie nue, faible et sans protection aucune.
« Tu ne devineras jamais ! s'extasiait déjà Aubéline, rayonnante alors qu'elle mordait déjà dans son sandwich.
— Tu es rentrée avec Tony hier soir ? Tu es venue chez lui ? Ou il est venu chez toi ? répondait Lyuba d'une voix monocorde qui trahissait son intérêt limité pour cette conversation.
— Mieux encore !
— Hum... Vous l'avez fait... ? »
Les yeux de son amie brillèrent de malice, un grand sourire aux lèvres. Lyuba lâcha un soupir quelque peu amusé puis but une gorgée d'eau alors qu'Aubéline lui expliquait son incroyable soirée.
« J'ai l'impression de parler dans le vide tu sais là.
— Pardon, je ne suis pas dans mon assiette.
— Ca ne va toujours pas ? C'est en rapport avec hier soir ?
Lyuba fronça les sourcils avant de se souvenir qu'elle était partie en prétendant se sentir mal.
— Il y a un certain Clovis qui m'a parlé pendant la soirée, il m'a offert un verre et...
— Haaaaa ! s'écria Aubéline avec un grand sourire complice sur les lèvres.
— C'est pas ce que tu crois... »
Sur ces mots, elle sortit la clé et la déposa sur la table.
« Je suis sortie du club et il m'a accosté dans la rue pour me donner cette clé sans plus d'explications.
— C'est... Bizarre.
— Et en plus j'ai encore fait un rêve... J'ai rêvé du même homme, je crois, sauf qu'il a tué une femme alors qu'elle cuisinait gentiment. Égorgée chez elle, son sang coulait sur le carrelage en marbre... C'était moche. »
Elle n'avait pas besoin d'en dire plus, le silence exprimait mieux ce cauchemar qu'elle venait de vivre. Aubéline arborait une expression sidérée, interloquée. Elle inspira pour reprendre la parole alors que Lyuba remettait la clé dans son sac.
« Tu avais déjà rêvé de meurtres ?
— Non, c'est la première fois... »
Elles se turent toutes les deux une seconde.
« Elle était comment cette femme ? Et cet homme ?
— La femme... Blonde, je dirais 1m65 et plutôt fine... Elle avait deux enfants, deux garçons. Je l'ai vu sur le cadre photo de sa cuisine... Quant au tueur, il a les yeux bleu azur, perçants... »
À son évocation, elle frissonna en détournant le regard. Elle comptait lui parler de cette coïncidence douteuse où il l'avait regardée, où il la voyait. Mais juste quand elle ouvrit la bouche pour reprendre la parole, Tony apparut.
« Salut. Je peux me joindre à vous ? »
Aubéline leva son regard vers lui, émerveillée de voir l'homme de sa vie venir à elle. Leur conversation prit fin par la même occasion, laissant en suspens un nombre incalculable de questions que Lyuba n'avait pas envie d'être la seule à porter.
Quelque chose vibra dans sa poche de jean. Elle sortit son téléphone portable qui affichait un nouveau message d'un numéro inconnu. D'un toucher sur l'écran tactile, le message s'afficha.
- Tu as mis la clé en lieu sûr ?
La jeune fille scruta les alentours pour voir si Clovis était dans les parages. Qui avait pu lui donner son numéro? Le message parlait de la clé, il n'y avait donc aucun doute sur son émissaire. Elle pianota sur son portable et répondit de suite.
- Oui. Je l'ai sur moi. Pourquoi?
La seconde qui suivit, son portable vibra à nouveau.
- Bien. Garde-la toujours près de toi.
- Oui, mais pourquoi?
Lyuba attendit quelques secondes qu'il réponde à son message, mais il n'en fit rien. Silence radio. Et puis de toute façon, les cours allaient reprendre. Alors qu'Aubéline faisait les yeux doux à Tony, elle sortit de table sans un mot et retourna à l'auditoire pour la suite de la journée.